Zone grise -- Le choix d'un harki
Abstract
La région nord-africaine dans laquelle se situe l’Algérie
est connue sous le nom du Maghreb, littéralement «la terre du
soleil couchant». Malgré la diversité ethnique et linguistique qui
compose le pays, et qui subsiste jusqu’aujourd’hui, le Maghreb reste
principalement une région musulmane et arabophone. De 1830 à
1962, l’Algérie a été un département français divisé en trois parties,
ce qui la distinguait des «protectorats» français tels que le Maroc, le
Madagascar, et l’Indochine française. Celle-ci a éprouvé sa propre
guerre contre la France qui a mené à la chute de Diên Biên Phu et à
la fin d’une suzeraineté française. Au sujet de Diên Biên Phu, Alistair
Horne a écrit que «psychologiquement, il n’y avait jamais de défaite
plus dévastatrice infligée à une armée régulière occidentale par un
“mouvement de résistance” colonial ; elle devait avoir des contrecoups
importants en Algérie» (Horne 2006, 68 ; traduction de l’auteur).
Quand des soulèvements se sont apparus en Algérie à partir de 1954,
on aurait dû prévoir un combat violent parce que l’Algérie a été,
effectivement, le sol français.
En cherchant des explications concrètes en ce qui concerne
les belligérants de la guerre d’Algérie, c’est-à-dire, le protagoniste et
l’antagoniste, on rencontrera sans doute des difficultés. Pourquoi cela?
Contrairement à l’image hollywoodienne de la morale qui inonde le
globe, la réalité se conforme rarement, sinon jamais, aux chimères
d’un souhait artistique. Elle est plus sale, plus rude, certainement pas
noire ou blanche. Le plus souvent, la réalité nous offre un flou faillible
amené par les conséquences de notre nature humaine tragique. Nos
défauts, mais nos forces aussi, exigent un débrouillage. À tour de rôle, on est tenté de catégoriser le Front de libération nationale (FLN) et
son Armée (ALN), ou bien la France et ses troupes autochtones, dans
un «groupe héroïque». Mais ce serait un portrait hâtif de notre part.
Il suffit, pour s’en convaincre, de se souvenir du massacre du 5 juillet
1962 où jusqu’à 1.500 civils seraient morts. Ni la police algérienne, ni
les troupes françaises ne se sont interposées pour empêcher la tuerie
(Horne 2006, 533).
Dans la présente analyse, on examinera le cas unique du
harki en abordant trois questions fondamentales : 1) Qui est le harki
historique ? 2) Que lui est-il arrivé dans le cours des années qui ont
succédé à l’indépendance ? Et 3) dans quelle conjoncture se trouvet-
il aujourd’hui des deux côtés de la Méditerranée ? À la lumière de
ces enquêtes, on tentera de voir quelles en sont les implications qui
peuvent s’avérer importantes de nos jours. Il est facile de tomber
dans le piège de trop schématiser la question du collaborateur en
comparant le système colonial en Afrique à d’autres guerres passées,
d’autant plus que l’histoire du colonialisme américain au dix-huitième
siècle ressemble peu à celle des pays européens du vingtième siècle.
Mohamed Harbi, historien algérien et ancien membre du FLN, a
dénoncé cette erreur de la manière suivante:
L’assimilation de cet engagement à la collaboration
française avec l’Allemagne nazie fausse la démarche. Cent
trente-deux années de colonisation ne peuvent être
comparées en termes d’expérience historique à cinq
années d’occupation allemande (Harbi 2012).
Donc, il faut délimiter la colonisation française de l’Algérie unique en
son genre dans le cadre d’une histoire mondiale. Néanmoins, Harbi
confirme l’idée que la guerre en Algérie, malgré l’idéalisation de
quelques-uns, a entraîné dans «cette zone grise des accommodements
quotidiens et des stratégies sociales où eurent à s’opposer la
conscience nationale et les nécessités de la survie» (Harbi 2012).
Citation
Lucerna, Volume 9, pages 44-53